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QUELQUES REFLEXIONS SUR LA TRADUCTION POÉTIQUE

 

 

« Ma traduction de ton poème est meilleure que l’original »… m’expliquait un diplômé de l’Institut de Littérature de Moscou, auquel j’avais demandé de traduire l’un de mes poèmes. Mais est-il possible qu’une traduction améliore un texte ? Le rôle du traducteur n’est-il pas de rendre  dans sa langue, l’original avec ses défauts qui sont l’une des qualités intrinsèques de leur auteur ? Bien sûr, le traducteur peut écrire un nouveau texte, mais celui-ci devient alors son œuvre personnelle, et il ne s’agit plus dés lors d’une traduction, mais d’une adaptation.

Il existe deux écoles de traduction : celle des adeptes de la traduction littérale, que l’on peut appeler mot à mot amélioré, et celle des tenants de la traduction littéraire, qui consiste à créer, dans la langue vers laquelle on traduit, un texte qui parfois diffère cardinalement de l’original, surtout en ce qui concerne la poésie.

Les poètes du siècle d’argent, et en particulier « les 4 B » comme on les appelait (Blok, Balmont, Brioussov, Biely), pour lesquels le français était la langue maternelle aussi bien que le russe, réunissait en eux ces deux écoles, et leurs traductions des classiques de la poésie française se distinguent, autant par leur justesse, leur précision, et leur fidélité à l’original, que par leurs qualités littéraires, techniques, et poétiques. Ce n’est que plus tard en URSS, après des décennies d’isolement, durant lesquelles les langues étrangères perdirent de leur prestige, et devinrent un domaine surveillé de même que réservé à des privilégiés, que sont apparus des poètes qui ne parlaient pas le français, et traduisaient la poésie à partir de mots à mots, faits par des traducteurs qui n’avaient pas la possibilité de pratiquer, de développer et de moderniser leurs connaissances, créant ainsi des textes poétiques foncièrement éloignés de l’original…Ils n’étaient pas forcément mauvais, mais certainement pas meilleurs que celui-ci, comme certains l’affirmaient, et osent encore aujourd’hui le soutenir !

Il existe heureusement, en marge de ces inventeurs, des traducteurs transmettant fidèlement les images et le style de l’œuvre originale. Mais intervient toujours, à un moment ou à un autre, le problème de la musicalité poétique : La musique du Russe et celle du Français sont complètement différentes, car le système métrique russe est basé sur l’accentuation (l’alternance d’accents toniques), alors que celui du français l’est sur la césure et le nombre de pieds. Ainsi, le plus fidèle traducteur, buttera inévitablement du « pied » sur l’écueil de la rime, et se sentira souvent obligé de modifier le sens et les images, pour obtenir dans sa langue l’équivalent musical…Aussi, l’exercice périlleux de la traduction poétique, n’est pas plus recommandé au diplômé en langues étrangères sans don littéraire, qu’au poète sans connaissance de l’idiome original…

Et puisque je n’ai trouvé personne qui réunisse les qualités de traducteur et de poète, ou peut-être parce qu’en tant qu’auteur m’exprimant dans les deux langues mes exigences étaient trop élevées, je me suis moi-même attelé à la tâche, avec mon ami le dictionnaire, m’efforçant d’être aussi fidèle que possible à l’original. Bien sûr, cette traduction comporte de nombreux défauts : tout d’abord, elle ne communique pas complètement la musicalité du français, ensuite, certaines images ne sont pas toujours aussi explicites en russe que dans l’original, enfin, les textes traduits ici ne sont pas rimés dans la langue d’origine, car j’ai décidé que pour traduire les poèmes rimés inclus dans la partie française du recueil, il me faudrait trouver un traducteur, qui fut aussi, à l’instar de ceux du siècle d’argent, un poète. Mais en revanche, cette traduction a l’unicité que l’on ne retrouvera nulle part ailleurs, d’avoir été faite par l’auteur.

  

Moscou, le 7/02/2012

BRUNO NIVER

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