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Il est un troubadour...

 

par Marc Sagnol

 

 

Il est un troubadour dans les rues de la capitale russe promenant sa lyre et son chevalet dans la Maison des artistes , les cafés, les musées, les galeries, les lieux les plus prisés de la jeunesse moscovite, déclamant ses vers dans les locaux désaffectés de l’usine Octobre rouge ou dans les salles du Manège, du musée Maïakovski, ou peut-être même sur la place rouge, entre le tombeau de Lénine et le chocolat de chez Pouchkine. Un troubadour venu de Paris puis des rivages de la Méditerranée, chantant la beauté des paysages ensoleillés, la végétation des îles, pour les habitants des brumes du nord, puis s’émerveillant à son tour devant la beauté des muses de ce pays et leur adressant de longs poèmes d’amour, des cris de joie et de tendresse, transposant sur la Volga la croisière maritime. 

 

Troubadour, artiste-peintre, auteur de tableaux-poèmes, Bruno Niver est aussi couturier, créateur de costumes de rêve pour les actrices de ses pièces où le poète est toujours roi, entouré de nymphettes qui lui font la fête. 

 

J’ai eu le plaisir de voir et d’entendre, tout d’abord presque fortuitement, un spectacle-concert de Bruno Niver dans les salles d’exposition du salon du livre “Non fiction” en 2007. En traversant ces salles tout d’abord pour voir les tableaux qui y étaient exposés, j’ai été immédiatement attiré et arrêté dans ma déambulation par le spectacle sauvage d’un poète-chanteur-acteur vêtu d’un costume représentant le soleil, déclamant ou chantant, d’une belle voix de ténor, en français et en russe, des vers et des chants dont on retrouvera certains dans ce recueil. 

 

Ce premier contact a été suivi de bien autres, car lorsqu’on a goûté du plaisir de l’écouter, on ne peut résister à la tentation de le revoir, dans les autres cadres où il se produit, sur la scène du musée Maïakovski, au jazz-club de l’Union des Compositeurs, ou au café-théâtre l’Appartement 44. Dans tous ces lieux, Bruno Niver tient son public en émoi devant la beauté de ses vers, de ses spectacles, de ses chansons et devant son inspiration poétique et musicale. Partout il règne sur son public, entouré d’une cour de belles filles qui l’adulent et qu’il adule. 

 

Les vers qu’on va lire sont un long chant d’amour  inspiré par une muse magnifique, étonnante sirène emmenant le poète dans de vastes pérégrinations, de vastes bûchers dans les flammes desquels il se consume. Mais le plus original dans le travail de Bruno Niver est qu’il réalise à chaque fois des tableaux-poèmes. Dans l’esprit des calligrammes d’Apollinaire, il calligraphie ses vers tout en leur donnant une forme picturale qui, la plupart du temps, épouse et illustre le contenu du poème. Nous sommes donc en présence d’un véritable livre d’artiste, dans lequel le peintre-poète illustre lui-même ses vers à l’aide des lettres calligraphiées puis colorées de ses propres poèmes, sans qu’il y ait pour cela aucune redondance.

           Dans la première partie, « Dans le feu de ton âme », le poète se consume d’un amour grandissant pour une sirène rencontrée sous les voûtes de la voie lactée, dans les rues de Moscou. :

 

« Quand vient le soir,

J’oublie la terre bleue

Et mon amour jaillit de l’urne du couchant ».
 

Le soir revient comme un leitmotiv dans ces poèmes, c’est comme si l’inspiration poétique, à l’image de Minerve, ne se levait qu’au déclin du jour, s’échappant de l’urne funéraire du soleil couchant.

 

Le poète erre et crie dans la nuit pour retrouver l’ombre qu’il a vu passer, la silhouette nocturne furtivement apparue :

 

« Quelle est cette Ombre dans la Nuit

Qui nourrit mon cœur de promesses

Du souvenir de ses caresses… »

 

Bruno Niver mêle dans ses vers plusieurs traditions lyriques, où l’on reconnaît parfois des intonations d’Apollinaire, d’Eluard, d’Aragon, auxquelles viennent s’ajouter des rythmes verlainiens :

 

 

 

« Et c’est très touchant

De savoir que l’âme

Voyage longtemps

Au-dessus des lames… »

 

On trouve encore des sonnets issus de la Renaissance, inspirés de Ronsard ou Du Bellay, remaniés par les trouvailles de Mallarmé et des impressionnistes, tel ce sonnet à la rime en « ur », où « neige » rime avec « qu’ai-je » :

 

« Dans l’azur transparent où flamboient tes yeux purs

Transperçant le silence des cieux de verdure

Où luit le chant divin d’un loriot qui perdure

Dans le ciel à chanter tes yeux murs dans l’azur

 

Ces perles de soleil et de feu qui se murent

Derrière le silence enchanté qui très mûr

Rougit de la rosée dans les jardins aux murs

Eclatant de soleil dans les buissons de mûres

 

D’où ton regard s’élève et les cerisiers blancs

Du japon qui m’enivrent de leurs fleurs des neiges

Blanches du plaisir Ivre des voluptés qu’ai-je

 

Fait à l’azur au ciel pour subir tes élans

Et que parmi les fleurs rouges des lilas prennes

Mes bras à tes cheveux pour t’en faire une traîne .»

 

Le poète chante sa muse, la recherche quand elle est absente, chante son absence comme une marche dans le désert, où il est en proie à des hallucinations, des mirages, le nom de cette femme s’inscrivant partout où il passe, sa prose poétique prenant alors des tournures proches de celles des surréalistes, rappelant la Nadja de Breton, qui apparaît et disparaît comme dans un « livre à portes battantes ».

 

Il se retrouve alors dans le Caucase, enchaîné comme Prométhée au sommet du plus haut des monts, contemplant le chaos à ses pieds :

 

« Chaos

Secouant les montagnes

Aux entrailles du monde…

Monde inversé du mirage du ciel. »

 

Ses hallucinations se transforment en délires, discussions folles avec les étoiles en vue de retrouver la bien aimée disparue.

 

Viennent alors une série de tableaux-poèmes écrits sur le thème de l’Homme et de l’Heure, laquelle sonne, comme chez Verlaine (« quand sonne l’heure.. ») et chez Apollinaire (« Vienne la nuit, sonne l’heure »), mais où se remarque plus encore, dans le style des calligrammes,  l’influence de Maïakovski :

 

« L’homme a fait sa place

Près de ton cœur

Qui bat dans le silence

Et sonne l’heure ».

 

Les poèmes sont couronnés par des vers érotiques célébrant le cul de la bien-aimée, et son vagin qui recueille la poésie, précieuse semence. Le poète parle maintenant au nom de sa muse :

 

« Ce que je veux  c’est toi, l’homme l’ombre l’étoile

Tombée dans mon vagin, de la fleur de pétale.

 

Le poète rêve alors, dans une vision fantastique, non seulement de l’âme sœur mais se pose en prophète dont le verbe saura, à travers l’amour, régénérer le monde, enfanter un monde plus humain et plus poétique :

 

 

« J’attends

Que ces spermes d’étoiles

Fécondent l’univers

Et que jaillisse enfin

Une race d’humains

Qui les pieds sur la terre

Tête dans les étoiles

Une race d’humains

Qui sera plus semblable

Au soleil éternel

De ton âme immortelle. »

 

La poésie de Niver allie ainsi l’amour et la révolution, l’art et la volonté de changer le monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

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