L’HYMNE FUTURISTE À L’HÔTEL UKRAINE
L’Hôtel Ukraine est l’un des sept gratte-ciel semés dans Moscou par la main divine du « Petit Père des Peuples » entre 1948 et 1957. Ces réalisations architecturales témoignent du style caractéristique des années 30–50 soviétiques, qualifié par les uns de « néo-renaissance » ou« prolétarien néo-classique », et par les autres d’« Empire stalinien ». En effet, ces constructions sont à un tel point originales, qu‘elles ont façonné le nouveau visage de la capitale, dont elles demeurent l’une des principales curiosités touristiques.
Les gratte-ciel soviétiques sont presque tous surmontés d’une flèche rappelant celles des cathédrales gothiques, à l’extrémité de laquelle une énorme étoile d’or frappée aux symboles révolutionnaires de la faucille et du marteau, rayonne de toute sa splendeur sur la ville, qu’elle domine à plus de 200 mètres. Ces bâtisses, semblables aux temples d’une religion syncrétiste qu’on appela alors le communisme, sont flanquées sur leurs péristyles et leurs balcons-terrasses de statues aux visages hiératiques, exécutées dans le plus pur style « réaliste-socialiste » exaltant la gloire du travailleur prolétaire dans tous les domaines, aussi bien dans les arts et la culture, l’architecture et la médecine, qu’aux champs et à l’usine, chacun d’eux exhibant l’emblème (compas, livre, caducée ou marteau…) qui symbolise sa spécialité. L’ édification de l’Hôtel Ukraine a commencé en 1953, sur le projet des architectes A. Mordvinov et V Kalanchine, et de l’ingénieur
P. Krassilinikov. Lorsqu’il ouvrit ses portes le 25 mai 1957, c’était le plus grand hôtel d’Europe. L’ambition des architectes de l’époque, qui avaient eu accès aux documents ultra-secrets concernant les techniques de construction des gratte-ciel de Manhattan, était de faire plus grand, plus beau, plus imposant, plus haut, que les monumentales architectures new-yorkaises, en d’autres termes de rivaliser avec les prestigieux édifices du congénital ennemi américain,dont les tours s’élevaient jusqu’aux étoiles et narguaient les rouges éclaireurs de l’Espace, jetant leurs ombres détestables sur le soleil levant du Saint-Empire Soviétique.
J’habitais alors à l’autre extrémité du quai Taras Chevtchenko, s’étirant sur quelques kilomètres à partir de l’immense Hôtel Ukraine, qui était le point de mire et le point culminant de la promenade quotidienne que je m’imposais, pour laisser se développer ma rêverie sur les remous de la rivière des sensations provoquées par cette énorme pièce montée, ce château de conte de fées renaissance, cette cathédrale gothique et baroque, élevée à la gloire d’une religion engloutie pour toujours dans les tourbillons de l’histoire. Et je m’interrogeais, assailli de multiples questions et de doutes :
À quoi sert aujourd’hui cette église ornée d’emblèmes exaltant le socialisme, où résidaient les grands-prêtres
et les archi-diacres d’une religion disparue ?
Que peut signifier cette architecture toujours intacte, qui témoigne de la grandeur révolue, du rêve fou, de l’utopie selon laquelle vécurent des générations et des générations, dont beaucoup de représentants vivent encore, et passant à côté se demandent : « Qu’est-ce qui s’est passé et qu’est le présent ? Est-ce un miroir du passé tendu vers l’avenir, ou le miroir brisé d’un avenir sans passé, d’un amour effacé, d’une croyance écrasée par la marche ininterrompue de l’histoire…? » Et de se consoler en citant ces vers de Tioutchev, le poète diplomate :
On ne peut pas comprendre la Russie par la raison (…)
On peut seulement croire en la Russie !
Le socialisme était-il une religion d’État ?
À quoi servent maintenant ces statues et ces étoiles, emblèmes d’un passé révolu ?
Que sont l’homme idéal socialiste et le Destin humain (l’Homme d’une manière générale), en regard de ce délire architectural qui exprime la volonté de puissance d’un seul homme ?
Quelle attitude intellectuelle et morale, adopter face au rayonnement de gloire immortelle que diffusent les pierres de ce temple toujours intact, élevé pour glorifier un culte idéal, qui n’a plus d’apôtres ?
Qu’est-ce que la mort, et qu’est-ce que l’Atlantide ?
J’avais l’impression d’avoir assisté à la chute de l’Empire romain en quelques jours. Et je poursuivais mon chemin, parmi les ruines des idéaux qui s’étaient écroulés à la manière des châteaux de cartes, sur les quais en terrasses où les nuages fondaient vers la rivière, qu’ils recouvraient du casque de brume de l’hiver.
***
Écrire un hymne futuriste à la gloire de l’Hôtel Ukraine, exemple caractéristique de l’architecture stalinienne des années 50, quand on sait que l’avant-garde a été interdite avec l’instauration du réalisme socialiste, voilà une manière de retourner aux sources du cosmisme russe et de la Révolution…
C’est pourquoi ce poème est plutôt un hymne à l’imaginaire délirant des architectes, et à l’utopie qui guida leur inventivité, un regard porté à postériori sur « L’Homme socialiste » idéal ou « L’Homme de marbre » comme l’a qualifié le réalisateur polonais Andrei Wajda, c‘est une manière d’interrogation sur l’insignifiance et la munificence du Destin humain et ses ambitions, et la fuite inexorable du temps.
***
Cette image, étrange au premier abord, « des péniches en deuil qui emportent de l’été le corps », m’a été suggérée par la révélation, que sur le quai où a été construit l’Hôtel Ukraine se trouvaient auparavant des cimetières. En effet, durant la période révolutionnaire, sous prétexte d’utilitarisme et de rationalisation de l’espace urbain, on a détruit et déplacé de nombreux cimetières, car ils symbolisaient l’ordre ancien et la religion honnis aux yeux des bolcheviks, qui faisaient «Table rase » de tout ce qui leur rappelait le passé. On y construisit à la place des monuments exaltant l’ordre nouveau, à la gloire de la religion socialiste…
Les 12 avancent toujours,
Sans icônes ni barrières.
Ils sont prêts à tout
N’ont pitié de rien…
Leurs carabines braquées
Sur l’ennemi invisible,
Par les petites rues où
La tempête rôde seule.
(…)
Ils marchent d’un pas souverain…
Derrière eux, le chien affamé.
Qui brandit le drapeau sanglant ?
Il est caché par la tempête.
Les balles ne l’atteignent pas…
On ne sait pas s’il touche terre !
La neige l’a couvert de perles,
Et couronné de roses blanches.
— C’est Jésus Christ qui est devant !
Alexandre Blok,
Les Douze. Janvier 1918
***
Et aujourd’hui ? En août 2005, la mairie de Moscou, a vendu aux enchères 100% des actions de l’Hôtel Ukraine à la société anonyme« Biskvit » pour 270 millions de roubles, à condition que le nouveau propriétaire des lieux en conserve et restaure la façade et les luxueux salons. Le 28 avril 2010, c’est un hôtel entièrement restauré, réhabilité, poli, nettoyé, redoré, rénové de fond en comble, à l’intérieur comme à l’extérieur, qui a rouvert ses portes au public. De sa précédente vocation idéologique, ne subsistent que les étoiles entourées de gerbes d’épis sculptées sur sa façade (qu’il est impossible d’enlever), et celle qui surmonte la flèche. L’Hôtel Ukraine, qui s’appelle maintenant Radisson Royal Hotel, Moscow, a été transformé en un hôtel aristocratique, dont l’immense vestibule constitue un genre de musée du « Réalisme Socialiste », où sont exposées les statues et les tableaux, qui en ornaient auparavant les murs et l’entrée principale. Sous chaque chef d’œuvre, en signe de déférence aux générations précédentes, figure une petite plaque dorée, briquée et lustrée, par l’une des innombrables femmes de ménage de l’armée de chasseurs de poussière, qui arpente, astique, polit, et frotte, jour et nuit, l’immense bâtiment… où sont gravés le nom de l’auteur, le sujet de l’œuvre, et l’année d’exécution.
Ce bizarre musée, voisine avec les magasins de fourrures, de bijoux, et de fournitures de luxe, salons de beauté, SPA, qui sont parmi les plus chers et les plus chics de la ville. S’y pavanent des dames très vulgaires, aux lèvres et aux poitrines gonflés de silicone, dont les cheveux sont allongés par des mèches postiches, plaquées nonchalemment sur le visage, et le long du cou. Elles exhibent des manteaux de fourrures violets ou roses dernier cri, et des sacs Chanel ou Vuitton (souvent d’origines douteuses), en faisant claquer les talons de leurs bottes jarretières où scintillent le strass et le doré, sur le marbre glissant et scintillant qui répercute l’écho de leur pas à travers tout le hall, et reflète avantageusement leurs silhouettes. Elles se promènent en général aux bras d’individus à mines patibulaires, qui gesticulent en hurlant dans leurs téléphones portables. Rasés de frais, ces derniers portent cravate, veston et pantalon rayés, sous un couteux manteau de cuir noir doublé de fourrure, d’où dépassent les bouts pointus de scintillantes bottines italiennes valant une fortune.
Au bout du même hall, trônent d’énormes Rolls Royce noires resplendissantes, briquées jusqu’au miroitement, derrière les vitrines d’un garage astiquées en permanence, et si transparentes, qu’elles donnent l’impression que l’un de ces couples raffinés y ayant déposé sa Rolls, puis s’étant fait ouvrir la portière, s’est laissé glisser sur le flot lumineux de l’éblouissante cascade des projecteurs, jusqu’aux marbres étincelants du luxueux vestibule…
Les gardiens du lieu sont tous taillés sur le même patron : ils ont des épaules d’armoires à glaces, le cheveux ras, la mine peu engageante et jamais souriante, et sont tous vêtus d’un costume et d’une cravate noirs, qui contrastent avec la chemise d’un blanc immaculé. Ils sont en permanence occupés à se communiquer des informations ultra-confidentielles, sur les visiteurs qu’ils ont accueillis dés l’entrée avec un visage de marbre, dans les mini émetteurs- récepteurs émergeant de leurs cols, et dont les fils tire- bouchonnés leur pendent très élégamment du lobe de l’oreille, le long du cou. Ces cerbères sont aussi nombreux, sinon plus, que les touristes de cet ancien antre du socialisme transformé en salon de beauté VIP pour nouveaux riches, qu’ils espionnent en glissant à pas de loup sur le marbre astiqué des sols, minaudant et miaulant discrètement, comme des chats, dans leurs microscopiques micros. Puisqu’ils sont en surnombre et qu’ils n’ont pas grand chose à faire, ils sont particulièrement préoccupés par l’apparition des visiteurs suspects, c’est-à-dire n’ayant, comme moi par exemple, ni l’aspect de nouveaux riches, ni celui de touristes : fins limiers, en dignes élèves de Sherlock Holmes, ils les filent à la trace, certains de n’être pas remarqués, se dissimulant derrière les colonnes des balustrades, dans l’encadrement des portes, et dans les ascenseurs, pour s’assurer que l’un de ces trublions potentiels, ne s’avise pas de subtiliser une pièce du sacro-saint musée du « Réalisme socialiste », de rayer le chrome miroitant d’un ascenseur, de se jucher sur le piédestal d’une table de marbre pour déclamer à pleine voix « L’Hymne à l’Hôtel Ukraine », ou se livrer à je ne sais quelles autres extravagances, et actes de malveillance de ce genre …
Ainsi, l’immense hall, dans lequel, durant les années 90, vous assaillaient dés l’entrée des trafiquants de devises et de marchandises de toutes sortes vendues au marché noir, où des prostituées affalées dans les fauteuils du bar, aux lèvres grossièrement maquillées d’un mauvais rouge à lèvres, pratiquement nues sous leurs fourrures, et presque toujours ivres, vous proposaient leurs services, ce salon monumental est devenu un véritable musée du luxe, une vitrine du nouveau Moscou, où l’ordre et le culte de l’argent ont remplacé l’ancienne religion communiste, son idéologie, et sa hiérarchie.
Mais bizarrement, en scrutant attentivement certains de ces nouveaux et riches visiteurs, il m’a semblé reconnaître sous le gras et l’apparat, le visage émacié et mal rasé, le regard fuyant, l’attitude, l’expression, le comportement même, de ceux qui auparavant trafiquaient du matin au soir à la cafétéria, qui se trouvait à l’endroit où est maintenant installé le musée panoramique, avec une immense maquette interactive, du nouveau Moscou!
Mais j’ai dû faire erreur…
L’Hymne FUTURISTE À l’hÔtel Ukraine
Ière Partie
I
Hôtel Ukraine ô Grand Hôtel Ukraine
Ôtent-elles la peine les péniches
Péniches de l’amour
Péniches de la mort
Qui l’Hôtel Ukraine entraînent vers la mer
Où la peine niche
Dans la paix
Ô Grand Hôtel Ukraine
Hôtel des anses qui se balancent en cadence
Dans la plaie des plaines océanes
Comme de grands cercueils
Les péniches en deuil
Circulent vers le nord
Emportant de l’été le corps
Mélancolique et triste dont l’œil
Au crépuscule dort
Comme de grands cercueils
Les péniches en deuil
Emportent leur trésor
L’emportent vers la mer
Et la nuit tombe avec son rideau de nuages
Sur l’Hôtel Ukraine
Et son masque éphémère
Et la glace aux fenêtres
Illuminées
Faisant des signes au cristal
Des astres allumés
Du ciel pâle
Fenêtres de l’amour
Péniches de l’amour
Fenêtres de la mort
Ouvertes sur la mer
Ensevelies dans l’œil
Du soleil mort
Pic dans la nuit d’or
Œil du soleil qui dort
Dans le sommeil du nord
II
L’onde ouverte sur la nuit dort
Le clavier des étoiles dans l’oreille de métal
Du Néant
Très loin semble gronder dans les ténèbres
Du Temps
Lointaine la trompe des tombes
La trompe des anges qui tombent
Dans les tombes
Course des anges à l’affût des astres
Contre le soleil noir
La mort de sa faux affûtée contre la nuit
Découpe les astres en rondelles
Silence
Sanglant spectacle
Les hirondelles s’envolent et laissent la place
Sentiment de l’Espace
Tremblant sous son masque
De glace
D’horreur
Qui d’audace
Lance ses six lances
Dans le silence
Lancinant
Lent si lent
Que je sens
Que je rêve
La septième lance abat la Mort
La septième lance c’est l’éternité
Le sixième sens de la septième lance abat la Mort
Elle s’élance
Avec la flèche de l’Hôtel Ukraine
Dans le ciel et danse
Et le septième soleil
Du puits des six étoiles jaillit
Confondant l’Univers
De cette vérité nouvelle
Répand dans les déserts
Du verbe sa lumière
Il caresse les astres
Luttant dans les ténèbres
Rafistole leurs branches
Que la mort dépeça
Et dans le ciel jeta
En proie aux fourmis blanches
Qui dévoraient ses manches
Dans l’Espace et les mangeait
Dedans sa paume énorme
Puis le soleil de l’homme
Du poing écrasa ces gnomes
Ayant rafistolé les étoiles d’or
L’Homme de l’hôtel Ukraine
Arrache à la mort sa faux noire
Il monte dans le ciel et danse
Avec la septième lance — la lance de l’Éternité
Le sixième sens de la septième lance
Abat la mort
Elle s’élance
Immortelle dans le ciel et danse
Un homme nouveau est apparu dans l’Espace
Il danse avec la flèche de l’Hôtel Ukraine
Entouré des étoiles de cristal
Qui s’allument
Qu’il salue au ciel pâle
Puis sur le pal de l’Éternité
Il s’empale
III
Planté sur les clous des étoiles
Crucifié entre les constellations
Il tourne et tourne tourne
Projeté comme un disque
Lancé par une main invisible
À travers l’Univers
Parmi la course des planètes
Écartelé entre les constellations
Où se répand sa trace
Crucifié de l’Espace
Sur la roue des soleils
L’Homme de l’Hôtel Ukraine
Il caresse certaines planètes
Et d’autres les envoie bouler
A coups de pied
Dans le jeu de quille des sphères
Où les géants des deux Hémisphères
Clopinent sur des béquilles
De nouveaux astres sortent de leurs coquilles
Éclos au plasma de leur mère l’Univers
Pris dans la course éternelle des planètes
Dans l’éther
2 ème partie
I
Ses ascenseurs chromés qui montent dans l’espace
Que des bandits préfèrent aux spasmes
De la mort
S’élèvent comme d’encensoirs
Une fumée d’or
Vers la flèche immortelle
De la cathédrale en pierre
Chef d’œuvre d’un style
Presque gothique
Et parsemée d’étoiles
Qu’ils atteignent en un éclair
II
Comme l’aigle dans l’éclair
Le voici qui scrute la ville de son regard perçant
L’homme de l’Hôtel Ukraine
La ville et ses toits d’or pointus
Hérissés pignons d’étoiles stridentes
Criblant le ciel d’azur qu’elles chantent
« Suis–je bien sur la terre se demande-t-il
Ces constructions sont-elles
Tombées d’une autre sphère
Comme des anges punis
Du royaume du Père du soleil
Du royaume de pierres
Du Père de la nuit ? »
III
Le Christ Noir
La Vierge noire
Le Soleil Noir
Ou la trilogie fantastique
D’une éternelle dialectique
Du principe de beauté
Écartelé dans l’Éternité
Clarté couleur d’ambre
Et lumière
Par l’embrasure du ciel
Ce grand Sphinx d’azur
Projeté à travers la plaie
Des étoiles
LE SOLEIL NOIR
Soleil noir
Toi qui clos les frontières du réel
Tu n’es que la distance de la lune au soleil
Toi qui sépares les astres
Les découpe en rondelles
Tu boirais le sang d’astres
A la coupe plus belle
Sur des sandales nouvelles
Me voici bien à même
De comprendre le ciel
Dans mon niveau domaine
Soleil noir
Soleil vers qui la lumière soit
Bois en toi le soir avec moi
LA VIERGE NOIRE
Lune noire
Lune des tsiganes et des femmes fatales
Paupière retournée des yeux noirs sans égal
Sur ta paupière l’étoile du matin se pose
Dans un scintillement de la lyre du vent
Et ton regard dévoile au soleil blanc éclose
Cette rose céleste corolles noires et blanches
Comme l’obole offerte au soleil qui se penche
Vers un nuage blanc et caresse sa hanche
Je retourne ma lyre en accent circonflexe
Et plante dans son cœur ces sourcils si complexes
Pour voir sous ses sourcils rire ses grands yeux noirs
Ses humeurs bigarrées bizarres pour savoir
O Lune noire magicienne des siècles à venir
Pour savoir pour pouvoir lire en toi l’avenir
LE CHRIST NOIR
Christ noir
De la Russie folle
Russie des flagellants
Russie des mages hélant
Grands mages dont l’élan
Donne aux Saints qui raffolent
Des verges la rougeole
Bel ange qui passe dans le soleil mort
Se vêt de son éclat lui prend sa parure d’or
Qu’il cache n’en exhibant que la doublure noire
Toison d’or exorciste Satan des statues — tiare
LES STATUES
De bronze de fer ou d’or
Statues — témoins
De bronze de fer ou d’or
D’un ordre autre et mystérieux
D’ou viennent–ils donc ces hommes muets
Que regardent leurs yeux fixes au loin
Symboles morts ou vivant d’un autre lieu
Dont les trois âges sont à reculons
Age d’or de fer ou de bronze
Statues — témoins d’un autre Dieu
D’où viennent–il donc revenants
Que regardent leur yeux fixes au loin
ÉPILOGUE
Russie à double face pays à double fond
Sous la pluie qui efface les marques de l’affront
La plaie du brouillard fond et je passe et me fonds
Dans le paysage des terrasses qui forment un front
Des nuages fondent sur la ville de l’univers
Coiffant d’une chape de brume chapeau à plumes
Calotte du Spleen mélancolique triste et qui fume
Ses cheveux hérissés de rues droits drus — l’Hiver