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SAINT-PÉTERSBOURG

 

 

Éternels rivaux d’une guerre d’hégémonie, Moscou et Saint-Pétersbourg, sont les deux têtes de l’aigle bicéphale impérial qui est redevenu le symbole héraldique de la  Russie, après la disparition de l’URSS. Mais cette lutte de pouvoir, si elle a reflété au cours des siècles d’une longue terrible et tourmentée histoire, un véritable antagonisme politique, n’a pas aujourd’hui plus d’importance qu’une rivalité ancestrale entre deux voisins qui se considèrent à distance, s’estiment autant qu’ils se méprisent…

La querelle a commencé il y a plus de 300 ans, lorsque l’empereur Pierre 1er, dit Pierre le Grand, parce que c’était un géant tant par la taille que par l’envergure de ses conceptions, décida de créer ex-nihilo une nouvelle capitale au bord du Golfe de Finlande. Son idée était d’ouvrir « une fenêtre sur l’Europe », au nord-ouest de l’Empire russe. Il fit assécher des marais, et engagea les plus célèbres architectes d’Europe qui dirigèrent la construction des palais, firent creuser des canaux, et donnèrent à la cité fraîchement sortie de terre, dont il avait tracé lui-même au cordeau le plan en lignes droites, l’allure d’une capitale européenne concentrant tous les styles architecturaux d’une époque. On la surnomma « la Venise du Nord », à cause de ses canaux et de l’omniprésence de l’eau.

Les voyageurs étrangers s’extasiaient, et s’extasient encore, devant la beauté et l’élégance de ces réalisations architecturales titanesques, et Saint-Pétersbourg demeure pour les touristes du monde entier, la capitale des Tsars de toutes les Russies, de la Russie d’hier…mais pas de celle d’aujourd’hui. Voilà le paradoxe !

Hier, avant 1917, Saint-Pétersbourg était la capitale de l’Empire russe, mais avant 1703, la date de sa fondation, c’est Moscou qui en était la capitale. Et après la Pérestroïka, on aurait dû revenir à l’Ancien Régime, et Saint-Pétersbourg aurait dû redevenir la capitale !

Mais cela n’a pas eu lieu…

« Saint-Pétersbourg est la capitale de l’Empire russe au destin provincial », a dit Joseph Brodsky, le poète pétersbourgeois, prix Nobel de littérature, l’idole de l’intelligentsia de la ville, qui ne jure que par son nom en répétant  ces vers du poète émigré en 1972, né sur l’île Vassilievsky au bord la Néva qui traverse Saint-Pétersbourg : « Je viendrai mourir sur l’île Vassilievsky …» Mais, par une ironie du sort, le génie du quartier s’éteignit loin de l’île Vassilievsky et de la Néva, le 28 janvier 1996, sur une autre île baignée par les eaux d’un autre fleuve, l’Hudson à Manhattan, au large du froid et de la grisaille pétersbourgeois, décevant ses admirateurs délaissés.

Il repose depuis le 21 juin 1997 au cimetière Saint-Michel de Venise.

Dans les années 60, Leningrad fut le principal foyer de dissidence et d’avant-garde artistique et littéraire, regroupés sous l’appellation de mouvement anti-conformiste, auquel appartint le futur prix Nobel. Leningrad acquis donc, à cette époque, le statut de capitale culturelle en opposition au pouvoir politique et à l’idéologie dominante que représentait Moscou. Cet état de fait dura jusqu’à la Pérestroïka, où de nouveau le tic-tac de l’horloge de l’histoire se remit en marche, et fit bourdonner les tympans pétersbourgeois jusqu’à l’hystérie,

et une nouvelle fois chamboula tout !

« Comment se fait-il, s’exclamèrent-ils, que si l’Union Soviétique n’existe plus, Moscou soit toujours la capitale ? Puisqu’avant la Révolution de 1917 Saint-Pétersbourg était la capitale, elle doit donc le redevenir ! »

Le premier signe de ce retour à l’Ancien Régime fut la restitution du nom de Saint-Pétersbourg à Leningrad. Mais on s’arrêta là !

Moscou demeura et demeure encore la capitale et le siège du pouvoir politique, au grand dam des ténors de l’intelligentsia pétersbourgeoise qui s’exclament d’une seule voix :  « Moscou c’est l’argent, le pouvoir, le mercantilisme et la vulgarité. Nous représentons l’élégance, nous sommes le vrai visage de la Russie, sa vraie capitale culturelle ! » Démonstrations sans fin, combat stérile et qui n’a aucune actualité,

puisque le pouvoir fait tout pour rapprocher les deux villes, ne serait-ce que par l’inauguration récente d’un train à grande vitesse réduisant de moitié le temps de parcours entre les deux capitales. Cependant les coryphées pétersbourgeois continuent de se gargariser de leur suprématie culturelle, alors qu’il est évident aux yeux de tous que la nouvelle Russie se manifeste et se développe en premier lieu à Moscou, le siège pouvoir politique. Cette notion, héritée de l’époque soviétique, d’un Pétersbourg capitale de la dissidence et du contre-pouvoir subversif,

est devenu complètement obsolète.

Cette ville-musée, si elle compte plus de 8 millions d’habitants, n’a plus rien de commun avec l’ancienne capitale, dans laquelle la noblesse de la cour donnait ses bals somptueux, dans les pompeux palais de marbre blanc et rose qu’elle s’était fait construire…Tous ces superbes bâtiments ont été nationalisés après 1917, et s’ils n’ont pas eu la chance d’être transformés en musées, en théâtres, en salles de concerts, en palais des pionniers, ou en locaux administratifs à destinations diverses, ils ont été divisés en appartements communautaires distribués au peuple prolétaire. Si les édifices publics entretenus tant bien que mal par la ville ont à peu près conservé leur ancien visage, et leurs belles façades donnent son cachet inimitable à Saint-Pétersbourg, en revanche, tous les autres palais, s’ils n’ont pas été rachetés pendant la Pérestroïka par des particuliers qui les ont restructurés et fait restaurer, ne sont plus que les piètres ruines d’une splendeur passée, aux façades desquelles on distingue, en les ravalant mentalement, d’élégantes cariatides d’Atlantes, et des sculptures d’Amours et de Psychés, taillées dans la pierre autrefois blanche qu’a recouvert la crasse du siècle révolutionnaire.

Les appartements de ces palais ont été (et sont encore parfois) le théâtre de scènes semblables à celles évoquées par l’écrivain Boulgakov dans sa nouvelle sur la période révolutionnaire « La commune ouvrière n°13 Elpite », où la commère qui vient d’emménager dans un ancien palais transformé en appartements communautaires, accroche sa corde à linge sur les boiseries sculptées et les meubles de prix, et utilise le bois de hêtre du parquet et pour chauffer sa chambre pendant l’hiver…

Saint-Pétersbourg a malheureusement beaucoup plus souffert de la guerre que Moscou, et le blocus de Leningrad, qui ne se rendit jamais à l’envahisseur nazi, et donna à la ville le titre  de « Ville héroïque », toujours utilisé quand on la qualifie de nos jours, la guerre a décimé la plus grande partie de la population. Ainsi, les habitants d’aujourd’hui n’ont strictement aucun rapport avec ceux d’avant la Révolution, dont les nobles représentants, s’ils n’ont pas été grossir les rangs de l’émigration russe, ont été pourchassés jusque dans leurs terres de l’intérieur.

Paradoxe d’une cité-fantôme où errent les esprits des architectes et des (nobles)  de ceux qui y vécurent, y dansèrent, y aimèrent. Légendes ensanglantées par le poids d’une histoire terrible et mouvementée…Gare aux âmes faibles qui ne savent pas résister aux appels de l’au-delà et de ses esprits vengeurs. Ils sont menacés de  sombrer dans l’alcoolisme, la drogue, la dépression ou la schizophrénie, lorsque pendant l’interminable hiver, sous un ciel gris éternellement couvert souffle le vent humide et glacial du Golfe de Finlande, qui pénètre par tous les interstices, dans les maisons et les appartements communautaires, se faufile sous les vêtements les plus chauds par tous les pores de la peau, et pétrifierait dans le gel le moujik sibérien le plus aguerri.

 

Mais, lorsque enfin revient le mois de mai aux nuits blanches et folles, Saint-Pétersbourg retrouve son visage d’antan (du moins en imagination). Les palais redeviennent le théâtre de bals grandioses et de fêtes somptueuses, la ville s’illumine des feux roses d’un couchant éternel, et brille sur le pôle dans toute sa splendeur de marbre blanc.

On erre à l’infini dans l’air léger des rues, on se laisse bercer par la romance d’un soleil printanier, dont les rayons ont liquéfié la glace qui tenait prisonnières de son étreinte les eaux de la Néva. Dans un bruit de tonnerre, les glaçons roulent vers la mer, emportés par le courant, dans la retraite de l’hiver, et vont fondre sous l’éclat des aurores boréales…Puis  la navigation reprend ses droits. Sous les yeux médusés des mouettes, les ponts déploient leurs grandes ailes noires pour livrer passage aux navires, qui s’en vont vers la mer ou vers les grands lacs caréliens, et la ville ouvre ses poumons d’argent à l’air iodé des océans et respire l’amour.

 

« Quand la ville s’unit à la mer

Les ponts lancent leurs grandes ailes noires

Vers l’Immensité

Ils divisent la ville en deux

 

Sous les ailes blanches des mouettes

La gueule des ponts verticaux

Aux dents de lampadaires

Happe la lumière violette

De l’énorme boule solaire

Jaillie du puits des mers polaires »

 

Un sentiment d’Infini gonfle alors la poitrine du poète pétersbourgeois, qui s’écrie :

 

« Jusqu’où tes perles tes splendeurs ô Pétropole

Resplendiront sur l’infinie blancheur du Pôle !? »

L’HIVER  À SAINT-PÉTERSBOURG

 

                                        I

 

De ses anneaux de feu enserrant le Silence

Le pont sur la rivière comme un long serpent

Ainsi que la fumée déroule ses arpents

Sur la plaine neigeuse du fleuve qui pense

 

Où Paul et Pierre méditent intensément

Sur les chaînes de fer qu’ont supporté les siècles

Les larges épaules des ponts en arcs de cercles

Tendus au pôle et soupirent immensément… 

 

Et la ville médite médite médite

Sur ses vieux ponts de pierre de métal et d’or

Où les Sphinx les Chimères les Lions encore

Silencieux méditent sur le Temps en fuite

 

« Où allons-nous où vont le Soleil et la Mer

L’atmosphère marine et courants et poissons

Ceux qui nous traversaient avec leurs passions

_ La Mort vous a tous loin emporté dans l’éther

 

Et nous restons pensifs Pont Palais et Maisons

Sphinx et statues figés pour toute Eternité

Dans la glace du Temps sur le fleuve Léthé

Reflétant du ciel pâle l’Azur - Visions

 

Vestiges du passé comme ce fleuve bleu

Que l’hiver a scellé d’un testament de glace

Restons captifs pensifs et contemplatifs face

Aux palais nuageux ces mirages de Dieu ! »

 

 

                                      II

 

Pieuvres et poissons habitants de la ville

Sombre végétation d’algues et papyrus

Végétant tout au fond d’un antique pis russe

Qui vache européenne a conservé son style

 

Arrosant l’Horizon d’une oraison de lait

Le couchant provisoire a joué son torchon

Ecarlate d’Aurores contre un blanc nichon

Que suce un Silence de neige constellé…

 

 

                                     III

 

Royaume de Sadko où des Sirènes d’ombre

Entraînent par la main des marchands voyageurs

Au fond d’un océan plein de requins rageurs

D’automobiles bleues dévorant la pénombre

 

Sonneries du Silence et feux de position

Et de navigation rouges ponts en cadence

Soulevant leurs ailes s’envolant dans la danse

Avec les mouettes d’or aux larges visions !

 

                                        *    *

                                           *

 

« Adieu terres de feu Villages et montagnes »

Dit le marin au large agitant pavillon

Au-dessus de la nuit qui comme un papillon

Vole au-dessus de lui haut pays de Cocagne

 

Où les montagnes d’or et de feu des Ténèbres

Sont vagues d’océan de lumière solaire

- Sur la Planète bleue vivent des insulaires

Recueillant ces moissons lumineuses du Verbe…

 

 

                                   IV

 

Neptune Roi des mers agitant son trident

Vous regarde passer citadins dans la nuit

Qui nagez agitant la queue de votre ennui

Marin des bulles de soleil entre les dents

 

Du vent qui dessille les lampes d’arcs-en-ciel

Et l’électricité de ces soleils de verre

Qu’on nomme lampadaires feux d’or sur la mer

Blanche où loin s’est caché l’impassible Soleil

 

 

                                     V

 

Dans ma serre je veux recréer ces Printemps

Nommer avec tes yeux ces Printemps le Mystère

Qu’un unique Soleil illumine la Terre

Léchant les seins blancs de la brume l’allaitant

 

Que la Planète ailée par l’Hiver indomptable

Gonfle ses poumons d’air et que l’eau s’évapore

Loin loin du Silence clamant par tous les pores

De la nuit étendue sur l’eau plaine friable

 

Ce chant d’Éternité domptant l’Immensité

Sur la neige tendue aux pieds de ta Beauté

 

              

    

DANS LE BERCEAU DE LA NEIGE

 

Nous sommes noyés sous l’océan de la neige

Des rêves et des baisers du soleil prompts

Vols d’oiseaux d’ivres tramways passent sous les ponts

Jetant dans la nuit des étincelles l’arpège

 

Et nous allons bercés par l’infini des nuits

Dans le berceau du ciel où des bateaux voyagent

Caressant de ton corps l’impossible nuage

Tes yeux de flamme ma belle étoile de minuit

 

         

LES NUITS BLANCHES                      

 

« Cruelles nuits blanches du mois de mai… »

                     (A. Blok)

 

 

PÉTROPOLE

 

Qu’est-ce que dans le ciel dessinent les nuages ?

L’aiguille Pétropol au pic qui étincelle

Les dômes ronds dos d’or reflétant le Soleil

Ses toits verts hérissés de statues l’Hermitage ?

 

Qu’est-ce que sur la pierre officine l’ombrage

Des angles de palais dessinant la margelle

D’un puits que les reflets moirés des ponts rappellent

Quand du sel de la mer éclatent des Mirages !

 

Ô Nuit Blanche Nuit Blanche sans fond et sans voix

Où tout se fond dans l’unique blancheur du Moi

Où tout au fond de la nuit identique au jour

 

Une Sirène trompe à sa conque d’amour

« Jusqu’où tes perles tes splendeurs Ô Pétropole

         Resplendiront sur l’infinie blancheur du Pôle ? »

 

 

SOLEIL DES NUITS BLANCHES

 

Si la nuit est blanche

C’est pour te complaire

Si la nuit est noire

C’est pour te soustraire

À l’immensité

Des Étoiles d’or

Qui ornent le corps

De l’Éternité

Sonnant dans mon crâne

Grisé par la flamme

D’âmes des nuits blanches

Aux regards de feu

Tapis d’yeux

Où s’est tapi Dieu

 

 

FOLIE DES NUITS BLANCHES

 

Tu es pareille au vin et je m’enivre de ton sang.

Et pareille à la rose qui me saoule de son parfum.

Tes lèvres-pétales écloses murmurent dans l’été sans fin

Des paroles bleues sur la mer éphémères qu’emporte le vent 

 

Et le poison de l’Univers verse dans les yeux du Silence

La liqueur de ta Liberté qui délivre mon espérance

Et je m’enivre de ton cœur que tout pantelant je dévore

Et la caverne de mon crâne avec tes étoiles décore 

 

Il sonne creux 

                            Seule ta langue

Donne le son de cloche et tangue

Sur la mer de mon espérance

Puis me délivre du Silence   

 

 

LA CHANSON DES NUITS BLANCHES

 

Ô Silence Ô Musiques

Préfère la nuit

Au jour qui s’enfuit

Que dire du ciel

Pensée essentielle

Versant dans nos cœurs

La pluie de ses pleurs

Musiques anciennes

Du passé l’antienne

 

Et si je m’en vais

Ce sera vers toi

Soleil sur la mer

Vivre sous ta Loi

Briller avec Toi

Qui dans l’azur –Roi

M’invite éphémère

Ta voix que j’aimais

 

Silence et lumières

Vous êtes la terre

Des passions premières

Et de mon Mystère

Visions de lumière

Silence et mystère

                   

 

LA BEAUTÉ DES PIERRES

 

C’est la Beauté qui fait pleurer

Non pas la Mort

Car la Beauté est éternelle

Et la mort est inévitable…

 

De ces cailloux de ces palais et de ces tours

Que restera-t-il dans mille ans Saint-Pétersbourg ?

Et voilà que les Sphinx d’Egypte sur la rive

Où j’écris mes pensées qui vont à la dérive

 

Ont desserré leurs lèvres minces et violettes

Leurs lèvres de noyés rescapés de l’Enfer

Et agitant la queue m’ont répondu « Poète

C’est la Beauté des mers qui fait pleurer les pierres ! »

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